AG 2004 : les outils de la maîtrise foncière

Table-ronde 3 - La maîtrise des marchés fonciers

Participaient à cette table ronde :

Vincent RENARD, Directeur de recherche au CNRS
Philippe ANQUETIL, Directeur Général de l'Etablissement public Basse Seine
Jean-Louis DUMONT, Député de la Meuse
François SCELLIER, Député, Président du Conseil Général du Val d'Oise
Daniel BENTZ, Directeur Général de l'Etablissement Public Foncier Local de Clermont-Ferrand
 
Cette table ronde était animée par Marie-Noëlle LIENEMANN.


 
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Le sujet de notre table ronde est particulièrement d'actualité. Nous avons d'abord cru que la région parisienne et les zones les plus urbanisées étaient les seules touchées par l'inflation des prix du foncier, mais une analyse plus précise permet de constater qu'une large part du territoire national se trouve aujourd'hui confrontée à la question de la disponibilité et du coût du foncier.

I. Diagnostic et pistes d'action
 
Vincent RENARD
 
1. Diagnostic
 
La France, qui était en pointe à une certaine époque, est désormais à la traîne, au sein de l'Union Européenne, en ce qui concerne le traitement de la question foncière.
 
L'on considère généralement que le logement coûte cher en raison du prix du foncier. Or cette croyance est erronée. En réalité, le prix du foncier est élevé du fait de l'existence d'une demande, y compris spéculative. Par ailleurs, le monde a considérablement évolué depuis 15 ans en raison de la déréglementation financière et de la volatilité des marchés. Les acteurs structurants sont aujourd'hui des fonds de pension et des organismes foncières cotées, très réactifs.
 
Les prix de l'immobilier dans les grandes agglomérations sont revenus aux niveaux atteints lors de la bulle spéculative de la fin des années 80. Tout le monde sait que ces prix sont excessifs, mais personne ne le dit parce que ce niveau profite à tous les intervenants. Il existe toutefois une différence clé entre le cycle actuel et celui que nous avons connu à la fin des années 80. Ce dernier était ciblé sur quelques agglomérations majeures. Or le mouvement actuel est très attendu, ce qui pose un véritable problème.
 
L'Etat a créé deux missions relatives au foncier. L'une, au sein du Ministère des Finances, vise à vendre les propriétés de l'Etat. L'autre, au Ministère de l'Equipement, a pour objectif d'identifier les gisements fonciers et de débloquer des opérations, notamment avec les grands propriétaires publics, d'abord en Ile-de-France, puis dans les autres régions.
 
Cela dit, le malthusianisme des élus en matière foncière n'est pas un mythe et la construction de logement social ne constitue pas nécessairement leur priorité. Le fait, pour un Maire, de ne mettre en place aucune politique sociale du logement peut même constituer un argument électoral. Je crains que ce point soit connecté avec le fait que notre planification urbaine ne comporte pas de zonage dédié au logement social. Il existe une résistance considérable sur ce sujet, comme dans le domaine du remembrement urbain.
 
2. Pistes d'actions
 
A mon sens, l'idée de faire financer le logement social par des opérations foncières libres n'est pas pertinente. La loi d'orientation pour la ville, de 1991, a introduit ce dispositif sous le nom de « participation à la mixité de l'habitat », mais les résultats que j'ai pu observer sont contestables. Ce dispositif présente, en effet, l'énorme inconvénient d'indexer la production de logement social sur la bonne santé du marché de l'immobilier, alors qu'il serait plus pertinent d'introduire un mécanisme contre cyclique.
 
Quatre pistes d'action peuvent être envisagées.
 
 planification urbaine
Nous pourrions nous inspirer de l'expérience de pays voisins pour réhabiliter une planification simple et évolutive, fondée sur des financements étatiques. Je pense notamment à l'exemple des Pays‑Bas où, chaque année, l'approbation du PLU engendre d'octroi de financements étatiques.
  
 transparence des marchés
En cas de crise immobilière spéculative comme celle que nous vivons, les marchés transparents reviennent très rapidement à l'équilibre, contrairement aux marchés, opaques, comme le nôtre. Il est urgent que nous disposions, dans notre pays d'informations précises sur l'évolution des prix de l'immobilier et du foncier.
  
 incitations fiscales
La fiscalité sur le foncier et l'immobilier constitue incontestablement un élément contre productif. Nous continuons à nous fonder sur des évaluations datant de 1971. Il pourrait être judicieux de revenir à une référence à des valeurs vénales, surtout sur des marchés de plus en plus volatiles.
  
 établissements publics fonciers
Il peut exister une confusion entre la notion d'intérêt général et l'utilisation des prérogatives de puissance publique. La France a récemment été condamnée devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour avoir confondu ces deux notions. Les prérogatives de puissance publique doivent être utilisées dans le cadre d'actions de puissance publique. Or, contrairement à l'obligation qui leur est faite, les municipalités ne tiennent pas de registre des biens préemptés. Lorsque l'on intervient dans le cadre de l'action foncière publique, il est pourtant indispensable de définir les raisons pour lesquelles l'ont utilise des prérogatives de puissance publique, sachant que le pouvoir foncier n'a de sens que sur le long terme. Il convient, en particulier, de distinguer le champ obéissant aux règles de la concurrence de celui qui relève des prérogatives de la puissance publique. Il ne faut pas mélanger les genres. En outre, il convient d'utiliser l'argent du contribuable pour acheter des biens à leur juste prix. Les fonds publics ne doivent pas être gaspillés, mais ils ne doivent pas, non plus, être utilisés pour acheter à bas prix un bien que l'on sait pouvoir revendre à prix d'or. Enfin, j'évoquerai la question du périmètre d'intervention. A mon sens, la grande agglomération constitue un périmètre d'intervention pertinent.
  
II. Le cadre d'action d'un élu local
 
François SCELLIER
 
Il me semble essentiel de situer le pouvoir foncier dans un cadre éthique. Certains ont dénoncé des opérations réalisées par un certain nombre d'élus, visant à dévaluer artificiellement des terrains pour ensuite se les approprier. Même si les raisons de cette appropriation étaient légitimes, il s'agit, à mon sens, d'un dévoiement du pouvoir foncier.
 
Cela dit, il faut réconcilier les élus locaux avec l'acte de construire. En effet, chacun trouve de bonnes raisons pour ne pas mettre en place une politique locale active en matière de construction. Cet acte constitue pourtant un élément fondamental de l'action publique des collectivités locales. Si certains Maires, dans un souci électoraliste, renoncent à construire du logement social, préférant payer la taxe, j'ai aussi vu des associations d'habitants se constituer pour convaincre les élus locaux d'aller dans ce sens. Même si les Maires sont conscients de la nécessité de construire du logement social, ils doivent tenir compte de l'opinion de leurs concitoyens. C'est pourquoi il convient peut-être de trouver des moyens de persuasion plus forts, mais aussi plus partagés. La plupart des élus locaux sont conduits à ne pas construire de logement social en raison des conséquences susceptibles d'être induites sur leur territoire, et non dans une optique de rejet social.
 
A mon sens, il faut commencer par retirer aux Maires toutes les objections les conduisant à justifier leur inaction. Il est également nécessaire de tenir compte du fait que le Maire n'est pas seul. Il est entouré d'une équipe qu'il doit prendre en considération. Si un Maire décide de construire du logement social, il se trouve dans l'obligation d'amortir le coût du foncier par des charges nouvelles. Toutefois, si l'on exclut quelques cas particuliers, il est possible d'inciter les décideurs locaux à engager une politique sociale de logement. Je déplore toutefois que les compétences des départements en matière de logement ne soient pas aussi étendues que je l'aurais souhaité. Depuis que je suis élu, j'attends que des outils fonciers soient mis en place. A cet égard, l'expérience de certaines régions est très instructive. Par exemple, l'Ile-de-France est engagée dans des actions foncières, qui viennent en bonification des emprunts de la Caisse des Dépôts et dans le financement du foncier pour des opérations d'aménagement concernant des territoires prioritaires.
 
J'espère qu'en collaboration avec notre région, nous parviendrons ensemble à nous doter enfin des outils nécessaires pour mettre en place une véritable politique foncière. En la matière, un certain nombre de diagnostics sont partagés, mais il semble impossible d'intervenir de manière concrète.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Je précise que l'article 55 ne permet pas aux communes de se dédouaner du paiement dans la durée. En effet, à l'issue des 12 ans de mise en œuvre, en cas de défaillance de la collectivité, l'Etat peut prendre des mesures visant à atteindre le niveau de 20 % de logements. La puissance publique peut donc être conduite à prendre des décisions en lieu et place des élus locaux. En outre, les comptes‑rendus réalisés sur la mise en œuvre globale de l'article 55 démontrent que les prévisions en termes de construction de logements ont été globalement atteintes.
III. Enjeux du débat public sur la question foncière
 
Jean-Louis DUMONT
 
Comme je l'ai indiqué dans le rapport que j'ai rédigé pour le Conseil Economique et Social, résoudre le problème foncier nécessite une volonté politique, qui existe généralement, mais aussi des outils qui doivent être divers parce que la question de la construction de logement social ne recouvre pas les mêmes réalités selon les territoires que l'on considère. Je suis un fervent partisan des établissements publics fonciers locaux, mais j'ai mis dix ans à convaincre le département de la Meuse à voter la taxe afférente au bon fonctionnement de l'Etablissement Public foncier lorrain qui intervient pourtant sur des missions particulières, notamment dans la reconversion des friches industrielles et militaires. Dans ces domaines, nous avons clairement différencié les prérogatives de la SAFER et les missions de l'établissement public foncier qui consistent à définir les zones constructibles.
 
Au-delà des outils et de la volonté politique, le Maire doit aussi prendre en considération ses concitoyens. Il faut savoir que tous les permis de construire collectifs font l'objet de procédures administratives ou donnent lieu à des pétitions. En outre, je suis persuadé que la fiscalité doit jouer un rôle essentiel. J'ai proposé, dans mon rapport, que les terrains constructibles, mais non construits, soient taxés très lourdement. Aujourd'hui, je suggère que les personnes héritant de biens fonciers bénéficient d'une exonération de droits à la condition que le terrain dont elles deviennent propriétaires soit affecté à la construction de logements sociaux, c'est-à-dire vendu à des organismes d'HLM. Il faut utiliser la fiscalité et faire évoluer le Code Général des Impôts pour dynamiser la vente en taxant ou en exonérant à bon escient, en particulier les sites urbains inconstructibles susceptibles de devenir constructibles en raison d'une révision du plan d'occupation des sols. Nous savons en effet qu'il existe, sur ce type de biens, une spéculation que l'on pourrait taxer. Par exemple, qui n'a jamais vu un terrain se vendre deux ou trois fois dans la même journée, en voyant son prix passer de quelques dizaines à plusieurs milliers d'euros ? Nous devons agir pour mettre un terme à ce type de pratiques, même si cela ne sera pas aisé dans un pays comme la France, où la propriété foncière revêt une importance essentielle.
 
A mon sens, il faut renforcer les missions des établissements publics régionaux. Il convient également de clarifier un certain nombre de points. Par exemple, un hiatus risque d'apparaître entre l'affectation de fonds pour le logement aux régions et le rôle grandissant des départements, directement interpellés par les organismes sociaux pour l'habitat, les associations et les promoteurs. Il est temps que le Gouvernement se penche sur l'organisation des missions, des contrôles et des financements par Ministère. La France souhaite que le droit au logement soit offert à chaque citoyen, mais ne se donne pas les moyens permettant de planifier la construction. Un certain nombre d'étapes ont été franchies, mais il convient aujourd'hui de donner mission à l'une des collectivités territoriales d'atteindre les objectifs.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Je note que l'on évoque à nouveau des outils fonciers. A la fin des années 70 et au début des années 80, l'on croyait dans la régulation du marché. L'on estimait qu'il suffisait d'allouer des fonds publics au logement social pour lui permettre de suivre le marché. L'on pensait alors que tous les outils publics permettant d'acheter des terrains étaient archaïques. L'idée était d'accompagner le marché pour que le logement social trouve sa place dans le système concurrentiel. L'on a créé des surcharges foncières, permettant aux opérateurs d'intervenir sur le marché. Or je crains que ces surcharges foncières aient contribué à légitimer une certaine spéculation.
 
Aujourd'hui, nous assistons à une rupture culturelle : l'idée d'un outil public d'intervention sur le foncier semble être redevenue pertinente. Lors de leur création, les établissements publics ont été largement légitimés par la nécessité de procéder à des reconversions industrielles ou de territoires considérés comme défavorisés. Ils ont plus rarement été appréhendés comme un outil général de planification et d'intervention. Quoi qu'il en soit, il me semble positif que les établissements publics reviennent au premier plan.
 
Un autre point me semble important. Auparavant, l'intervention publique se concentrait sur des terrains vierges, en situation d'expansion urbaine. Aujourd'hui, l'enjeu est celui de la mutation urbaine de terrains plus diversifiés et émiettés. C'est pourquoi nous devrons nous assurer que les nouveaux outils sont vraiment opérationnels dans le domaine de la mutation urbaine.
 
Par ailleurs, au-delà de l'accompagnement de la politique du logement par l'octroi de subventions, comment pouvons-nous influer sur les coûts ? L'on pensait, à l'origine, que les établissements publics fonciers pourraient influer sur les coûts et, ainsi, limiter la spéculation. Or je crains que les moyens publics ne soient pas suffisants pour réguler véritablement les coûts. Par conséquent, il convient de réfléchir à la mise en place d'outils de régulation complémentaires. La fiscalité peut être l'un de ces outils, mais je vois également poindre, dans divers pays d'Europe, l'idée de créer des taxes anti-spéculatives. En outre, il peut être pertinent de réfléchir à certains zonages.
 
De plus, en région parisienne, l'on considère que l'offre de foncier se réduit du fait de la pression de la demande. Pourtant, il existe des opportunités, mais les opérateurs jugent que les terrains sont trop chers. Les élus locaux n'ont pas le sentiment que la demande est insuffisante puisqu'ils disposent de foncier disponible. Par contagion, les prix ont évolué indépendamment du lien entre l'offre et la demande. Il pourrait être intéressant de revoir les zones prioritaires, sur lesquelles peuvent exister des potentialités de nature à réguler l'évolution des coûts.
 
IV. Présentation de l'Etablissement Public Basse Seine
 
Philippe ANQUETIL
 
L'Etablissement Public Basse Seine, créé en 1968, est le plus ancien des établissements publics fonciers de l'Etat. Il s'agit d'un établissement public de l'Etat, à caractère commercial. L'Etat nomme son directeur général qui est le représentant légal et l'ordonnateur de notre établissement.
 
Les initiateurs de cet établissement public ont su le doter d'une ressource fiscale affectée qui présente l'avantage de garantir un financement dans la durée, ce qui est indispensable pour conduire une action foncière efficace. Chaque année, la loi de finance définit un plafond de financement et le conseil d'administration vote le montant appelé qui est ensuite réparti par les services de l'Etat.
 
Notre conseil d'administration est composé de 41 membres, dont neuf conseillers régionaux de Haute-Normandie et Basse-Normandie, 15 conseillers généraux, sept représentants des grandes agglomérations et dix représentants du monde de l'entreprise, désignés par les chambres professionnelles. Nous tenons particulièrement à la présence de représentants des entreprises au sein de notre conseil d'administration, d'autant que la plus grande part de nos ressources est constituée de la taxe professionnelle. Les Préfets assistent aux réunions du conseil d'administration, mais n'ont pas de pouvoir. L'Etat exerce sa tutelle sur notre organisme.
 
Notre établissement public a été mis en place pour mettre en œuvre le schéma d'aménagement de la Basse Seine, en prolongement de celui de la région parisienne. Nous avons progressivement élargi le territoire initial, limité à la vallée de la Seine. Nous intervenons aujourd'hui sur les deux départements de Haute‑Normandie et le Calvados. Nous pourrons prochainement étendre nos actions à la Manche et à l'Orne.
 
Trois types de missions nous ont été confiées :
 
· procéder à toute opération foncière et immobilière de manière à contribuer à l'aménagement du territoire ;
· procéder à la réalisation des études et travaux nécessaires ou participer à leur financement ;
· sur autorisation préalable des Ministres de tutelle, réaliser des opérations d'aménagement pour le compte des collectivités locales.
 
Jusqu'à présent, nous nous sommes refusés à exercer notre troisième mission, considérant que les deux autres sont plus structurantes et fondamentales. Nous travaillons essentiellement avec les collectivités locales, avec lesquelles nous passons des conventions de partenariat pluriannuelles. Nous revendons le foncier à un prix déterminé à l'avance, soit à la collectivité locale, soit à des aménageurs ou des opérateurs. Nous procédons à ces reventes en flux tendus, lorsque notre interlocuteur dispose d'un client, ce qui constitue un avantage considérable.
 
Notre ressource est une taxe spéciale d'équipement, qui s'ajoute aux impôts locaux et s'élève à 6,9 millions d'euros. Notre conseil d'administration appelle actuellement un montant sensiblement inférieur, de 4,5 millions d'euros, ce qui représente 1,89 euro par habitant et par an. Cet impôt nous a permis de nous doter de fonds propres qui dépassent 200 millions d'euros. Nous disposons ainsi d'une capacité financière qui fait de nous un acteur incontournable. Cet impôt représente aujourd'hui 0,2 % de la fiscalité locale, contre près de 3 % à l'origine, ce qui était relativement conséquent. Notre action foncière s'autofinance. Dans le cadre de notre stratégie pluriannuelle, notre conseil d'administration a décidé d'allouer l'intégralité de la taxe à l'économie régionale, sous la forme de subventions déguisées.
 
Notre expérience démontre qu'un conseil d'administration composé de représentants politiques et économiques est plus performant que l'Etat lorsqu'il s'agit de gérer des opérations sur le long terme.
 
V. Présentation de l'Etablissement Public Foncier local de Clermont‑Ferrand
 
Daniel BENTZ
 
En 1975, le Président du conseil général du Puy de Dôme a proposé la création d'un opérateur foncier, intermédiaire entre les propriétaires et les élus locaux, pour négocier les terrains. 35 des 77 communes de l'agglomération clermontoise ont accepté cette proposition, mais notre structure a rapidement étendu son action au reste du département. En 1986, 140 communes y participaient et elles étaient 203 lors de l'instauration de la loi d'orientation pour la ville, en 1991.
 
Cet opérateur foncier a été créé sous une forme syndicale, comportant une assemblée générale et un bureau. Lorsque la possibilité en a été donnée aux communes, nous avons transformé cette structure en un établissement public foncier. Le comité syndical est devenu l'assemblée générale et le bureau le conseil d'administration, composé uniquement d'élus locaux. Nous n'avons pas souhaité y intégrer des professionnels dans la mesure où ils n'ont aucune légitimité pour voter une taxe. Cette transformation a pris effet le 1er janvier 1993.
 
Notre établissement regroupe aujourd'hui 421 des 470 communes de notre département qui est toujours adhérent. Cinq organismes socioéconomiques sont membres associés : trois chambres de commerce, la chambre des métiers et la chambre d'agriculture. Chaque commune souhaitant adhérer à notre établissement foncier pose sa candidature et se présente à l'ensemble des adhérents qui vote l'adhésion de cette nouvelle collectivité. Chacune d'entre elles est représentée par un ou plusieurs délégués, en fonction de la taille de sa population, au sein de l'assemblée générale qui vote le montant de la taxe spéciale d'équipement et élit le conseil d'administration. Celui-ci gère l'établissement public foncier.
 
Les collectivités peuvent demander à l'établissement l'ouverture de procédures de DUP permettant d'acquérir des terrains ou des immeubles pour réaliser des opérations d'aménagement. Elles peuvent également réaliser des opérations de préemption et engager toute négociation amiable avec des particuliers pour acquérir des terrains bâtis, ou non. Les biens fonciers sont financés grâce à la fiscalité qui nous permet progressivement de nous éloigner du marché bancaire et donc de proposer aux collectivités des prêts pour des durées et à des taux indépendants de ce marché. En outre, nous élaborons un programme pluriannuel d'investissement qui représente un montant de 81 millions d'euros pour les cinq ans à venir, dont 23 millions sont destinés à des opérations lourdes de renouvellement urbain et 58 millions seront alloués à l'ensemble des communes, notamment pour le développement du logement social. A la demande de Clermont Communauté, notre établissement collecte les pénalités relatives à l'article 55 et a diminué de 20 % la charge foncière des communes en affectant ces pénalités au paiement du foncier.
 
VI. Discussion
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Daniel Bentz, avez-vous augmenté votre production foncière et diminué les prix ?
 
Daniel BENTZ
 
Il convient de distinguer les aspects purement financiers du montage technique qui consiste à acheter, de manière anticipée, des terrains et des immeubles et permet de négocier avec le propriétaire sans être contraint pas des opérations d'aménagement. Cette anticipation foncière est fondamentale. Concernant les aspects économiques, le financement de l'article 55 nous permet de vendre aux communes des biens à 80 % de leur valeur d'acquisition.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Philippe Anquetil, produisez-vous d'avantage de logement social ? Est-il moins cher ?
 
Philippe ANQUETIL
 
Bien sûr. Nous avons mis en place une politique de minoration foncière. Nous pouvons aussi réaliser du portage foncier à un taux minoré, sous certaines conditions. Nous utilisons également le bail à construction.
 
Notre politique de minoration foncière consiste à abaisser le prix de revente du foncier pour faciliter ou rendre réalisable des opérations de constructions de logements s'inscrivant dans un PLH. Ce fonds de minoration foncière a été contractualisé entre l'Etat, la région de Haute-Normandie et des communautés d'agglomération de plus en plus nombreuses. Il permet d'abaisser jusqu'à 40 % le prix de revente du foncier. Ce fonds est doté, sur la durée du contrat de plan Etat-région, de 4,8 millions d'euros. Il nous permet de financer la revente de 12 millions de foncier à un coût minoré. Ce système fonctionne en Haute-Normandie. Il n'est pas encore opérationnel en Basse‑Normandie, mais devrait l'être prochainement.
 
Par ailleurs, nous sommes en mesure de cofinancer à hauteur de 50 %, avec les collectivités qui le souhaitent, la territorialisation des objectifs du PLH, mais aucune décision n'a pu être prise dans ce domaine en raison de la lourdeur des opérations, ce qui est consternant. Il existe tout de même un espoir dans la mesure où l'ANRU subordonne la décision sur un logement à la construction d'un autre logement. Nous travaillons actuellement sur une première opération de ce type qui concerne un site de quatre hectares, situé au Havre. Ainsi, nous parviendrons à pallier le manque de courage des politiques qui ne se sont toujours pas résolus à définir des zones dévolues au logement social.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Lorsqu'un élu local décide d'implanter du logement social sur un terrain qu'il vient d'acquérir, il est souvent interpellé par l'ancien propriétaire sur la légitimité de ce choix. Il faut comprendre que l'élu local a tendance à agir en fonction des opportunités. Lorsqu'un terrain est à vendre sur une zone comportant peu de logement social, il peut prononcer une DUP, puis réunir les fonds permettant de réaliser l'acquisition. Toutefois, certains terrains ne peuvent être acquis par la DIA parce que les critères définis par l'opérateur sont trop contraignants. Dans le cadre de la logique de planification, les élus sont interpellés par leurs concitoyens sur la légitimité de leurs choix. A l'inverse, il est difficile d'agir dans l'esprit du PLH et de la mixité sociale d'une manière opportuniste
 
De plus, il est relativement aisé de réhabiliter un ancien terrain de l'armée ou de la SNCF. En revanche, il est bien plus complexe de gérer des petites parcelles, dans une zone urbaine. C'est pourquoi il est préférable de concevoir des outils adaptés à la réalité politique et sociale que de demander à des élus de faire preuve d'héroïsme, au risque de perdre leur légitimité démocratique. La souplesse d'intervention des établissements publics constituera probablement un élément central de leur légitimité. 
 
Monsieur CHABOD (Coin de Terre et Foyer, Cholet)
 
Un terrain situé dans une grande métropole de l'Ouest a été récemment mis en vente aux enchères. Un certain nombre d'opérateurs raisonnables ont formulé une proposition à 18 millions d'euros. Or Georges V a formulé une offre à 32 millions de francs. Cet exemple illustre la pression exercée par les opérateurs privés qui devient insupportable.
 
Vincent Renard, vous avez évoqué la notion de zone de logement sociaux, ce qui me semble profondément choquant. Vous avez également indiqué que le locatif est complexe et ne fonctionne pas dans les programmes d'accession. Or, l'expérience de ma région démontre qu'il n'en est rien. Le système que nous avons mis en place est parfaitement opérationnel, même s'il présente le désavantage de traiter le problème à un rythme totalement incompatible avec son ampleur.
 
Par ailleurs, il me semble que les élus devraient utiliser davantage les opérateurs que nous sommes, capables d'intervenir dans les domaines de l'aménagement, du logement locatif et de l'accession à la propriété. L'on peut nous demander de travailler sur des zones complexes au sein desquelles il est souhaitable de mettre en place un système de conventionnement. Les élus peuvent être exigeants à l'égard des opérateurs d'HLM, mais ne le savent probablement pas suffisamment. Nous faire mieux connaître des élus constitue, à mon sens, un moyen de mettre en exergue notre singularité, face aux opérateurs concurrents.
 
De la salle
 
Les élus locaux du département de la Manche s'impliquent massivement dans le domaine du logement social et affectent des budgets très conséquents à ce secteur.
 
Philippe Anquetil, vous avez affirmé que votre politique d'aménagement est autofinancée. Or, en principe, un établissement comme le vôtre ne doit pas s'autofinancer puisque son objectif est d'acheter des terrains pour les revendre moins cher. Notre objectif est de réduire les coûts parce que l'inflation sur les prix des terrains qui nous pénalise. En la matière, vous avez un rôle majeur à jouer. Il serait déplorable que les opérations sociales coûtent plus cher parce que le foncier est plus onéreux.
 
Gérard GUYOT (Coopérative d'Hlm Clerdôme, Clermont-Ferrand)
 
A notre sens, le débat sur l'outil n'a pas lieu d'être, dans la mesure où les éléments juridiques existants permettent de le créer. Les élus doivent utiliser leur droit de préemption à condition que le document d'urbanisme soit planifié. A cet égard se pose la question de l'articulation entre la communauté d'agglomération et les communes. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est liée à la complexité de l'urbanisme. Dans ce domaine, certaines compétences ne sont peut-être pas suffisantes.
 
Par ailleurs, je souhaiterais que le coût de l'archéologie préventive soit pris en charge dans le cadre de l'accession sociale, de la même manière que pour le locatif.
 
Guy MOREAU (Coopérative d'Hlm Propriété Familiale de Normandie, Le Havre)
 
L'opération que nous sommes en train de mettre en place sur le territoire du Havre est en parfaite adéquation avec notre finalité et en phase avec la collectivité locale. La coopérative intervient dans son domaine d'expertise, en collaboration avec l'ensemble des interlocuteurs locaux. Il me semble que nous aurions tout intérêt à accompagner au maximum ces montages, plutôt que d'être en permanence contraints d'entrer dans une processus concurrentiel plus où moins rude qui a tendance à nous dénaturer.
 
De la salle
 
Après l'exposé de Vincent Renard, avec lequel je suis en accord, il me semble que les situations qui nous ont été présentées sont quelque peu idylliques. Lorsque l'on se trouve sur le terrain, l'on constate que les communes ou les communautés de communes privilégient souvent l'utilitarisme. Les opérations que nous leur proposons ne les intéressent pas nécessairement. Il existe, dans certaines communes, des obligations foncières selon lesquelles, par exemple, l'on ne peut construire sur un terrain de moins de 1 000 mètres carrés, ce qui nécessite de disposer d'une certaine somme et conduit les ménages les moins aisés à s'éloigner de dix à 15 kilomètres du centre ville pour trouver des terrains à des prix acceptables. Or ce problème n'a pas été évoqué. Des réalisations ponctuelles sont possibles en centre ville, mais, en règle générale, les populations disposant de faibles moyens sont rejetées en périphérie.
 
Vincent RENARD
 
Il peut sembler intéressant de prévoir du logement social dans une opération libre, mais cela impose de réunir un certain nombre de conditions. En outre, ce type d'opération doit être réalisé à l'échelle d'une agglomération, sans quoi les promoteurs sélectionnent les communes les plus intéressantes pour eux. Paris constitue, à cet égard, un cas particulier. En effet, cette ville semble être en train de parvenir à imposer une règle de 25 % de logement social dans toute opération nouvelle.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Vincent Renard, les inconvénients que vous décrivez seraient-ils supprimés si l'on pouvait faire en sorte que toute opération d'urbanisme réalisée dans une agglomération comporte une certaine proportion de logement social, négociée avec les organismes d'HLM ?
 
Vincent RENARD
 
Ce système permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes, mais il serait également nécessaire de réfléchir aux règles d'attribution.
 
Par ailleurs, Monsieur Chabod a évoqué le spectre du zonage social. Or je rappelle qu'en France, les grands ensembles urbains ont été constitués grâce à des opportunités foncières, et non dans le cadre d'une planification stratégique. Aux Pays-Bas, par exemple, le zonage social consiste à disperser de toutes petites opérations. A Rotterdam, j'ai récemment visité une opération comportant 12 logements sociaux en plein centre ville, mais le problème du foncier ne se pose pas parce que son prix équivaut sensiblement à celui de la terre agricole. Il ne s'agit, en aucun cas, de concevoir de très grandes opérations de logement social. L'objectif est, au contraire, de mettre en place de petites opérations de mixité, ce qui implique un gommage de l'impact foncier. Or, en la matière, le Gouvernement doit prendre position de manière claire sur le fait que la plus-value d'urbanisation appartient à la collectivité, comme c'est le cas en Allemagne, notamment.
 
Philippe ANQUETIL
 
Nous disposons d'une puissance d'action considérable puisque notre volume d'affaires dépasse 50 millions d'euros par an alors que la taxe n'en représente que six. Cette fiscalité est réinjectée dans l'économie locale pour mettre en place des politiques jugées prioritaires, dont celle de la mixité sociale dans l'habitat. Nous intervenons également pour recycler des friches industrielles, portuaires et urbaines de toutes sortes. Sur les premières opérations que nous avons réalisées, nous avons minoré la charge foncière jusqu'à 3 800 euros par logement. Il faut savoir que nous intervenons toujours à la demande des collectivités locales. Entre 1997 et 2001, 36 % des acquisitions que nous avons réalisées ont été consacrées à l'habitat.
 
Daniel BENTZ
 
Toutes nos acquisitions sont réalisées sur la base d'une estimation domaniale. Nous n'allons jamais au-delà de ce montant. Lorsque nous achetons un terrain au prix de 100 euros, la commune nous rembourse 9,6 euros par an pendant 12 ans, ce qui conduit à un coût global de 115 euros. Aucun frais de structure ne s'ajoute au coût du foncier, que le bien soit revendu, ou non. Dès lors que le terrain acquis par notre établissement reste dans le patrimoine de la commune, nous maintenons l'échelonnement du prêt. Seules les opérations de revente au secteur privé donnent lieu à un remboursement anticipé.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Quelle part de votre budget consacrez-vous à l'habitat ?
 
Daniel BENTZ
 
Nous avons prévu de consacrer 28 % de notre prochain programme foncier global à l'habitat.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Ce chiffre démontre que les établissements publics fonciers ne se concentrent pas uniquement sur le logement. Nous devrons être attentifs à ce point, alors que la plupart des Présidents de conseils régionaux annoncent la constitution d'établissements fonciers publics pour contribuer à leur politique de l'habitat.
 
De la salle
 
Théoriquement, un établissement public foncier dispose de deux modes d'intervention. D'une part, il peut intervenir sur des opérations, notamment pour acheter des terrains et les revendre à moindre prix. Dans ce cas, d'une certaine manière, l'établissement participe au fonctionnement du marché. Par conséquent, il ne ralentit en aucune manière la hausse des prix du foncier. D'autre part, l'établissement public foncier peut intervenir dans le cadre de zones d'intervention foncière, par des actions de préemption permettant d'acheter tous les terrains dont le prix a tendance à augmenter, donc de limiter la spéculation foncière. Les établissements représentés aujourd'hui pratiquent-ils ce type d'opérations ? Si oui, dans quelle proportion ?
 
De la salle
 
Le dispositif de Robien, dans sa configuration actuelle, contribue largement à la spéculation foncière. Les promoteurs privés utilisant ce dispositif offrent des prix sur lesquels nous ne pouvons nous aligner, même en utilisant les subventions publiques.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Comme je l'ai indiqué précédemment, le dispositif de Robien sera probablement appelé à évoluer.
 
Patrice VIAULT (Coopérative d'Hlm MCCA, Epernay)
 
Le prix du foncier comporte deux éléments : le coût d'achat et le coût de transformation. Ce dernier intègre un certain nombre d'éléments significatifs qui nous ne maîtrisons pas. Par exemple, la construction d'un lotissement a récemment été suspendue parce que des archéologues ont trouvé, sur le site, une épingle à cheveux de quatre centimètres de long qui semble dater du XVème siècle. Cette découverte a donné lieu à des fouilles complémentaires, financées par l'aménageur, et nous avons perdu une année avant d'obtenir l'autorisation de la DRAC de procéder aux fouilles. Pendant ce temps, nous avons dû supporter le financement de l'opération.
 
De plus, certains équipements demandés par les communes dans le cadre de la viabilisation des terrains sont très onéreux. Outre les éléments ornementaux, elles imposent des calibres très précis pour les équipements concernant les eaux usées et l'eau potable, ce qui conduit à des coûts de réalisation extrêmement élevés. Récemment, une commune a refusé de nous délivrer le certificat de viabilité notamment parce qu'il manquait trois mètres de passage de caméra dans le réseau des eaux usées.
 
Enfin, du fait du transfert des compétences des services d'urbanisme des villes vers les communautés de communes, l'on se trouve confronté à de nouvelles équipes qui ne maîtrisent pas toutes les procédures et prennent toutes les précautions possibles pour éviter toute responsabilité en cas de difficulté. Serait-il possible de prendre des mesures pour limiter l'inflation des prix des terrains liée à l'ensemble de ces éléments ?
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Sur le dernier point que vous avez évoqué, je vous incite à faire preuve de la plus grande prudence et à vous conformer aux règles permettant d'améliorer la qualité globale de l'opération. Il s'agit toutefois de déterminer s'il est légitime que ces charges contribuant à l'intérêt général ne soient supportées que par certains.
 
Concernant l'archéologie préventive, la France dispose d'un patrimoine historique extraordinaire qui représente une véritable valeur économique. Par exemple, l'on a récemment découvert des ruines romaines très bien conservées qui constitueront probablement une source de revenus touristiques pour la commune concernée. Toutefois, là encore, il s'agit de se demander par qui sont supportés les coûts. 
 
Philippe ANQUETIL
 
Nous intervenons de manière contractuelle avec les collectivités locales. A partir de la stratégie d'aménagement de l'agglomération et des communes, nous définissons une stratégie foncière à moyen et long terme et nous incitons les collectivités locales à nous déléguer le droit de préemption sur des périmètres précis et à mettre en pratique la notion de zone d'aménagement différée. Dans ce cadre, nous sommes capables de réaliser des préemptions, pour des montants considérables, dans un délai de 15 jours en raison des moyens dont nous disposons et de notre réactivité.
 
Concernant la question des fouilles archéologiques, lorsque nous réalisons, pour le compte de la collectivité, un portage sur un bien destiné à être revendu à un aménageur ou un promoteur, nous effectuons tous les sondages nécessaires durant la période de portage, si bien qu'une année de retard n'engendre pas un surcoût supérieur à 2 %.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN
 
Mesdames et Messieurs, j'espère que notre débat vous a convaincu de l'intérêt des établissements publics fonciers.